Le poème Tropique de la finitude est donné à lire ci-dessous dans une double version : la première traduite en français par l'auteur ; la deuxième, réalisée à partir de cette traduction française par Jacques Derrida.
« Un poème, nous le savons, n'existe qu'une fois, il ne respire que dans sa langue d'origine.
Par essence intraduisible, il ne peut que s'exposer : aux trahisons, aux adpatations, aux interprétations.
Ce désastre du poème, il se lie d'avance au don du poème. Il paraît encore plus grave pour celui qui, c'est mon cas de lecteur désemparé, n'a pas même accès à la langue originale. Et c'est pour pleurer cette langue dans la nuit, qu'alors, incapable de traduire, il s'empare de la chose en l'interprétant dans sa langue, en se l'appropriant, et, ici juste retour des choses, en se livrant à une sorte de montage.
Montage aussi violent, dans son empressement zélé ou dans sa ferveur, que, juste injuste retour des choses, le montage auquel Safaa Fathy, dans son film [D'Ailleurs Derrida], s'est parfois livrée sur des mots et des images venant de moi. Pas de montage sans coupure et sans suppléments. "Partage des voix", dirait notre ami Jean-Luc Nancy. Dans le mot "partage" il y a à la fois la mise en commun, la participation et la coupure, la partition, la séparation, la dissociation. En anglais on dit aussi "split", "splitting" quand on partage en coupant - par exemple un fruit en deux. Que le partage implique la coupure, c'est le lot des êtres finis.
Or le titre que Safaa Fathy a choisi, elle, pour son poème, pour la traduction française de son poème, c'est justement Tropique de la finitude.
Je vais donc en lire le montage, je vais en interpréter l'interprétation très libre, la version de ses versets. J'en prends seul la responsabilité, mais je le ferai, si librement que ce soit, à partir de la traduction que Safaa Fathy avait écrite elle-même de son poème. »
Jacques Derrida
Tropique de la finitude | Tropique de la finitude |
Malgré la prochaine nuit Du cantique de printemps qui vogue avec les vagues d'un départ Peut-être n'aurais-je pas assez de l'épouvante du port Où vas-tu, et le sanctuaire de lumière ? Le voilà l'hiver déjà révolu La prochaine nuit viendrait-elle
Une perle, une perle, une perle Où les coeurs se fendent Des instants dans la palette Se rivent maintenant dans les girons de la vue Ces versets qui frétillent sur cette peau, murmurent le cantique |
Malgré Malgré la nuit qui vient aile, elle Malgré, elle Elle dit : Elle dit Toi soleil immaculé Là où Peut-être au-delà, veillant au rêve, les houris Puis et puis La nuit vient, la prochaine, La perle, une perle, une perle, une perle Oasis, Des instants sur la palette Comme si à venir |
Safaa Fathy - traduction par l'auteur | Safaa Fathy - traduction Jacques Derrida |